Maraichage sur sol vivant
Chiffres cles
Alors que nos sols sont historiquement très pauvres, lourds et froids, nous avons mis en place depuis notre arrivée en 2017 des pratiques MSV (Maraichage sur Sol Vivant) qui nous ont permis d'obtenir aujourd'hui une très bonne fertilité de nos jardins. Grâce à cela, nous avons vu nos rendements en légumes considérablement augmenter.
Voici quelques chiffres clés de nos sols actuels :
- 16% de Matière Organique dans les 20 premiers cm du sol
- 18 tonnes/ha de vers de terre sous les planches de cultures
- 280 unités d'azote/ha/saison générés par les micro-organismes du sol
- Très forte minéralisation de l'azote et du carbone
Je souhaite vous partager ci-dessous, humblement, les résultats de nos expérimentations, observations, analyses et relevés, ainsi que l’état actuel de nos réflexions sur le sujet. Je ne prétends pas tout comprendre sur la vie des sols, j'en suis encore loin, et peut-être que d'ici quelques temps je viendrai corriger quelques erreurs grossières dans ce retour. C'est pour cela que je vous partage ici surtout des résultats d'analyses et de relevés, ainsi que des observations de terrain, et que j'essaie de faire relativement peu d'interprétations personnelles.
Enfin, avant de rentrer davantage dans le détail, un grand merci à Johan Billy, un ami qui a aussi été stagiaire sur notre ferme, et qui a réalisé un rapport MSV très largement repris dans cette page !
Notre contexte pedoclimatique
Nos terres, longtemps destinées à de grandes cultures conventionnelles, furent certifiées en AB suite à l’implantation d’une luzernière en 2013. Notre atelier maraîcher est dans la partie basse d’une large combe orientée vers le nord et bordée de forêts. Il s’agit d’une zone où s’accumule l’érosion hydrique du bassin versant.
Notre climat est de type méditerranéen avec une pluviométrie annuelle moyenne de 850 mm principalement distribuée en automne et au printemps comme le montre la figure 2.
Nous sommes en région « chaude » mais nos terres sont localement considérées comme « froides » du fait de notre proximité avec un Col à 395 m d’altitude accentuant notre exposition au Mistral pouvant atteindre 90 km/h.
L’étude pédologique effectuée par Giles Domenech en 2017 nous a renseigné sur la structure de notre sol. Notre substratum géologique est un calcaire tendre parfois recouvert d’éboulis calcaire et tapissé d’un sol peu profond de 40 à 60 cm. Des tassements et semelles dus aux engins agricoles ont été observés sans pour autant justifier un décompactage.
L’analyse de sol, dont un extrait est présenté par la figure 3, réalisée en 2016, a qualifiée la texture de notre parcelle comme étant de type « lourde d’argile limono-sableuse ». Avec 35 % d’argile, la rétention d’eau est intéressante, mais nous invite à être vigilants à l’asphyxie. Notre sol très calcaire (11 % de calcaire actif) et basique (pH 8,3) présente des risques de carence en oligo-éléments. Le taux de MO (c.-à-d. : matière organique) y est seulement de 2 %.
Un apport massif de compost en surface
Lors de notre installation, sans travail du sol préalable, nous avons apporté un mulch de 15 cm de compost de déchets verts à la surface de nos 126 planches de culture, soit un apport de compost de 300 t/ha. Les résultats de l’analyse de ce compost présentés par la figure 4, révèlent notamment un rapport C/N de 14.
Les passe-pieds, larges de 55 cm, sont enherbés en permanence. Nous avions au début beaucoup de liseron et autres adventices, qui progressivement laissent la place à des graminées spontanées et un peu de trèfle. Nous restons vigilants car nous observons quelques zones de chiendent qui n'ont pas l'air de vouloir se laisser faire si facilement, même si pour l'instant elles restent contenues.
Lors des deuxième et troisième saisons, seulement 4 jardins sur 18 ont été réapprovisionnés en compost, afin d’y implanter des carottes, pommes de terres nouvelles et poireaux, qui bénéficient particulièrement d’une nouvelle couche de mulch. Ainsi, grâce à la rotation des cultures, chaque jardin pourrait être réapprovisionné en compost tous les 4 ans environs.
L’aspect d’une planche réapprovisionnée en compost est illustré par la figure 5.
Que la planche soit en culture ou non, le compost est rarement piétiné, le plus souvent couvert (toiles tissées ou bâches d'ensilage) et régulièrement irrigué. Le seul « travail » du sol a lieu lors de l’incorporation de la fertilisation, avec le microculteur sur environ 4 cm de profondeur
Nous pensons qu’il s’agit de bonnes conditions pour la dégradation du mulch par la vie du sol. La figure 6 illustre l’état du compost deux années après le dépôt.
L'evolution de la vie et de la fertilite de notre sol
Depuis notre apport important de compost (300 t/ha) en 2017, nous suivons les évolutions de notre sol grâce aux analyses de sol du laboratoire Celesta Lab, spécialisé en analyse de la microbiologie du sol.
Un suivi de la population de vers de terre a été réalisé en avril 2018, 2019 et 2020 grâce à des prélèvements dans nos planches de cultures selon le protocole « test bêche ». Une augmentation constante du nombre de vers de terre est constatée. En 2020 dans une planche de tomate sous tunnel l’abondance était très élevé avec 1425 vers/m² sur 20 cm de profondeur, ce qui représente 18 tonnes/ha.
Nous avons pu constater avec Gilles Domenech au printemps 2019 que, grâce à nos « ingénieurs du sol », la structuration du sol pouvait être qualifiée de « bonne » à « très bonne » avec une importante bioturbation incorporant progressivement le mulch, comme le montre plus haut la figure 6.
Deux diagnostics agronomiques ont été réalisés. Le premier, en mai 2018, avec des échantillons provenant de l’ensemble de nos jardins. Le deuxième, en décembre 2019, à partir d’échantillons de nos planches de culture sous l’un de nos tunnels. Les échantillons ont été prélevés sur 20 cm de profondeur (les résidus de compost ayant été écartés) et analysés par le même laboratoire.
1. Caractérisation physico-chimique
La figure 7 présente les résultats de l’analyse de 2018 :
2. Les matières organiques
En 2018, la teneur en MO totale est de 3,6 %, comme le présente la figure 8 (soit 87,2 t/ha sur 20 cm de profondeur). Sur ces 3,6%, on a 3,1% de MO liées (soit les réserves à long terme), et 0,55% de MO libres (soit les réserves à court et moyen terme). Pour ces deux types de MO, les valeurs observées sont déjà supérieures aux seuils de référence.
Il apparaît également que les réserves organiques sont à 85 % disponibles sur le long terme. Globalement, le rapport C/N des MO est satisfaisant. Ces résultats encourageants ont été obtenus seulement 6 mois après avoir déposé notre couche de mulch.
Fin 2019, la teneur en MO totale est de 15,6 %, comme l’illustre la figure 9. Soit 446 t/ha de MO, et 259 t/ha de Carbone stocké rien que dans les 20 premiers cm de notre sol !
Sur ces 15,6%, on observe 8,7% de MO liées et 6,8% de MO libre. Ces taux en MO sont très supérieurs aux seuils de référence du laboratoire pour ce type de sol.
De plus, le taux de MO libre augmente beaucoup, ce qui veut dire plus de nourriture à court terme pour les micro-organismes, et donc ensuite pour nos légumes ! Nous le constaterons en 2020, avec une nette augmentation de nos rendements maraichers, principalement sous tunnels.
3. La biomasse microbienne
En 2018 (figure 10) comme en 2019 (figure 11), il apparaît que notre sol est très « vivant ».
En 2018, la biomasse microbienne représentait 664 mg de carbone par kg de sol sec, soit environ 1 576 kg/ha pour une profondeur de 20 cm.
En 2019, il s’agissait de 1 290 mg de carbone par kg de sol sec, soit environ 3 677 kg/ha.
Ces chiffres sont énormes !
4. L’activité microbienne
Afin d’évaluer la quantité de carbone et d’azote minéralisée par l'activité microbienne, les échantillons ont été maintenus dans des conditions contrôlées (température, humidité) en laboratoire pendant 28 jours. Les résultats des analyses sont présentés par les figures 12 et 13.
Le carbone organique, la source d’énergie pour la croissance et le développement des micro-organismes, a été minéralisé très rapidement en 2018 (429 mg de carbone par kg de sol sec) et encore beaucoup plus en 2019 (1 869 mg de carbone par kg de sol sec). Le laboratoire estime que l’activité de la MO est bonne et propice au maintien du potentiel biologique du sol.
L’azote minéralisé en 28 jours représente la quantité d’azote minéral potentiellement disponible pour les plantes dans une situation de terrain d’environ 4 mois. En 2018, la quantité était satisfaisante (26 mg d’azote par kg de sol sec) et en 2019, elle était très forte (65 mg d’azote par kg de sol sec)
Par extrapolation, il est estimé que l’activité biologique du sol sur 6 mois pourrait générer environ 91 unités d’azote par hectare avec l’échantillon de 2018, et 279 unités d’azote par hectare avec l’échantillon de 2019. C'est environ la consommation d'une culture de tomate sur la saison !
Constats sur la disponibilite de l’azote dans nos jardins
Nous sommes partis de sols très pauvres en 2017, pour arriver en 2021 à des sols globalement très fertiles.
Cependant, cette fertilité a mis du temps à se mettre en place. Nous avons constaté une nette augmentation de cette fertilité seulement à partir de 2020 sous les tunnels (où l'activité du sol est plus rapide qu'en plein champ), et en 2021 en plein champ.
L’analyse de 2019 estime que l’activité biologique de notre sol sur 6 mois, soit une bonne partie de la saison 2020, aurait du générer 279 unités d’azote par hectare. Nous avons donc pensé à revoir à la baisse notre plan de fertilisation en 2020. Finalement, nous avons fertilisé comme nous l’avions prévu, et nous avons malgré tout constaté des carences en azote dans nos jardins de plein champ. Même en tunnel, sur les cultures gourmandes et longues comme les tomates, nous avons constaté en 2020 des signes de manque d’azote à partir de la nouaison du cinquième bouquet, et nous avons dû les soutenir à l'aide de vinasse de betterave en ferti-irrigation.
Nous pensons donc qu'il faut être prudent avec les apports d'azote annoncés par les analyses, et que cet azote est surtout disponible au printemps et à l'automne, et beaucoup moins en été. Nous constatons également que la fertilité "naturelle" apportée par le compost et la vie du sol met du temps à se mettre en place, et qu'il ne faut pas hésiter les premières années à soutenir les cultures avec une fertilisation organique adaptée à leurs besoins.
Aujourd'hui, à la fin de la saison 2021, nos jardins ont une bonne structuration biologique, sont très vivants et fertiles, et nous fournissent de très bons rendements en légumes. Nous allons toutefois continuer nos observations, analyses et relevés dans les années à venir pour confirmer la bonne dynamique de ce système.
Sources
Par ordre d’apparition dans le document
Meteo Blue. Le diagramme ombrothermique de Crest
EURL Terre en Sève. 32350 Ordan-Larroque.
Rapport d’étude pédologique réalisée par Gilles Domenech le 11/10/2017.
Laboratoire d’analyses agricoles TEYSSIER. 26460 Bourdeaux
Analyse de terre. Echantillon reçu le 20/04/2016.
SADEF, Agronomie et Environnement. 73000 Chambery.
Rapport d’analyses COMPOSTS. Echantillon prélevé le 17/07/2017.
GIRARD L. (2019). Rapport de stage. Stage d’étude à la Ferme des Buis.
FAURY A. (2020) pour l’A.D.A.F. Etude sur les des vers de terre (en cours de publication).
CELESTA-LAB, Laboratoire d’analyse, d’étude et de conseil en biologie des sols. 34130 Maugio
Diagnostic agronomique : Physico-chimie et Biologie du sol. Echantillon reçu le 18/05/2020.
CELESTA-LAB, Laboratoire d’analyse, d’étude et de conseil en biologie des sols. 34130 Maugio
Diagnostic agronomique :Biologie du sol. Echantillon reçu le 20/12/2019.