La planification des cultures
La planification des cultures est la première étape de ma saison de maraichage et c’est la seule tâche que je réalise pendant mes vacances d’hiver, ce qui me prend 2 à 4 jours. Cette planification comprend :
· l’organisation générale du jardin, qui précise quels jardins et quels tunnels vont accueillir quelles cultures
· le plan de culture, qui précise pour chaque planche permanente les dates de semis, de transplantations et de dernières récoltes des cultures qu’elle hébergera pendant la saison
· la quantité de production prévue pour chaque légume, c’est-à-dire par exemple combien de planches permanentes pour les carottes et combien de bottes de carottes seront produites pendant la saison
· la quantité de semences et de plants à prévoir, et les variétés à privilégier.
· le chiffre d’affaires attendu pour chaque légume et le chiffre d’affaires global
Un suivi qui m'aide a progresser
Mes suivis de cultures et de rendements de la saison précédentes sont fondamentaux pour améliorer chaque année ma planification des cultures. Pour le plan de cultures, je vais par exemple programmer de transplanter deux semaines plus tard les concombres qui avaient subi une gelée tardive la saison précédente, ou avancer le semis des premières carottes sous tunnel qui n’étaient pas prêtes à temps l’année dernière. Pour la quantité de production de chaque légume, je peux regarder sur mes suivis les rendements de l’année précédente et ajuster le nombre de planches permanentes que je souhaite dédier à chaque culture. Pour la quantité de semences, je peux voir que j’ai dû commander plusieurs fois des semences de carottes la saison passée, je vais donc commander une plus grosse quantité de semences cette saison pour éviter de perdre du temps et de l’argent à refaire des commandes en cours de saison. Je vais également pouvoir choisir d’arrêter la variété de navet “Snow Ball” dont je vois dans mes suivis de rendement que la production est très faible dans mon jardin, et privilégier la variété “Tokyo Cross F1” qui a des rendements quatre fois plus élevés.
Enfin pour le chiffre d’affaire, ces suivis me permettent d’affiner la prévision du chiffre d’affaires de chaque culture et donc du chiffre d’affaires global de la saison à venir.
Ces notes me permettent également de programmer des améliorations pour le printemps : installer des grillages à moutons rigides pour mieux tuteurer les pois gourmands, installer une irrigation plus fine dans la pépinière, améliorer l’atelier de lavage dans l’abri de jardin, etc.
La rotations des cultures
Le plan de cultures est aussi l’outil qui me permet de gérer mes rotations. J’ai choisi le modèle proposé par Jean-Martin Fortier dans son livre “Le Jardinier Maraicher”. C’est un modèle simple à mettre en place, ce qui est une priorité pour moi, et qui a l’avantage d’offrir une rotation longue pour les familles de légumes qui en ont besoin : alliacées, cucurbitacées, crucifères et solanacées.
J’appellerai par la suite ces familles comme Jean-Martin Fortier : les familles de légumes exigeants. Ce terme “exigeant” vient du fait que ces légumes ont besoin de beaucoup de nutriments pour assurer une production abondante. Et pour les autres légumes, moins exigeants, je les appellerai Verdures-Racines : carottes, laitues, mesclun, betteraves, blettes, pois, haricots, radis, navets, etc.
Le principe de ce modèle de rotation est simple : chaque jardin (bloc de 10 planches permanentes) accueille une année sur deux uniquement des Verdures-Racines, et une année sur deux uniquement une seule famille exigeante. Ainsi le nombre d’années de rotation pour une famille exigeante est égal au nombre de jardins : 10 ans pour Jean Martin Fortier qui dispose de 10 jardins de plein champ, 6 ans pour moi qui dispose de 6 jardins. Les jardins sont numérotés pour tenir un historique des rotations au fur et à mesure des années.
Exemple pour mon Jardin 1 :
· Année 1 : Cucurbitacées
· Année 2 : Verdures-Racines
· Année 3 : Alliacées
· Année 4 : Verdures-Racines
· Année 5 : Solanacées (Pommes de Terre nouvelles)
· Année 6 : Verdures-Racines
· Année 7 : Cucurbitacées
Il y a ainsi 5 années entières entre deux cultures de cucurbitacées, et 1 année entre deux cultures de Verdures-Racines.
Dans les tunnels froids c’est plus difficile car je dispose de 5 tunnels de 6 planches permanentes chacun. Trois d’entre eux sont utilisés chaque année pour les cultures de solanacées (tomates, aubergines, poivrons), la rotation est donc d’une année entre deux cultures de solanacées. Pour régler ce problème il faudrait soit plus de tunnels, soit réduire la production de solanacées sous tunnels, soit pouvoir déplacer les tunnels tous les 7 à 10 ans. C’est cette dernière option que j'ai choisi pour ma nouvelle installation sur la ferme des Buis. Ainsi tous mes nouveaux jardins sont constitués de 7 planches permanentes, et ont une largeur de 9m : la largeur intérieure de mes nouvelles serres tunnels. Je pourrai donc déplacer mes serres tous les 7 à 10 ans sur des jardins qui étaient auparavant en plein champ.
Je ne prends pas d’autres critères en compte pour mes rotations. Chaque jardin étant identique (10 planches permanentes), cela m’apporte une certaine régularité dans ma production, ce qui peut aussi s’avérer une certaine contrainte. Je suis en effet obligé de produire 10 planches de pommes de terre nouvelles, ou 10 planches d’alliacées. Si je veux augmenter ou diversifier davantage ma production, je dois construire de nouveaux jardins pour respecter mon plan de rotation. Mais c’est une contrainte que j’apprécie car elle cadre mon plan de culture et réduit le nombre de questions que je dois me poser au début de chaque saison! J’aime voir les contraintes comme une base structurante sur laquelle je m’appuie pour développer ma stratégie.
Mon Plan de culture 2016
Concrètement, voici mon plan de cultures 2016 avec quelques explications. Il est loin d’être parfait et montre plusieurs erreurs de planification de ma part, je le retravaille chaque année pour l’améliorer après avoir appris de mes erreurs.
Cette année 2016 ce sont les jardins pairs qui accueillent les Verdures-Racines, et les jardins impairs qui accueillent les familles “exigeantes”. On voit ci-dessus l’organisation du jardin 1, avec 10 planches de culture. Pour la planche 1 de ce jardin, on voit dans la première colonne verte la première culture, les pois croquants, qui seront transplantés (SD pour semis direct, T pour transplantation, P pour plantation) le 15 Mars et retirés de la planche fin Juin. A la suite de cette culture, on peut voir dans la deuxième colonne verte qu’il y aura des carottes, semées en direct (SD) fin juin et récoltées jusqu’à mi-septembre. La troisième colonne verte reste généralement non remplie, et je me réserve la possibilité d’implanter une troisième culture si le timing et le climat le permettent, ce que je ne peux pas savoir au début de la saison. Je remplis parfois en avance certaines de ces troisièmes colonnes, ici avec des betteraves sur la planche 3 et des navets sur la planche 4, parce que les deuxièmes cultures de ces planches sont censées être terminées à la mi-aout et donc permettre une troisième culture.
Concrètement, je respecte précisément la première colonne verte et les dates de semis direct et transplantation associées. Comme je fais en sorte d’implanter le même jour plusieurs cultures les unes à côté des autres pour faciliter la logistique d’arrosage et de protection thermique, j’ai intérêt à suivre cette organisation sur le terrain pour gagner du temps.
Pour la deuxième colonne, c’est-à-dire les deuxièmes cultures de chaque planche, je fonctionne davantage en fonction de ce qui se passe sur le terrain. Si tout va bien, je respecte l’organisation de mon calendrier de cultures, mais si une culture met plus de temps à mûrir ou si j’ai précocement arraché une autre culture, je m’adapte et j’implante la nouvelle culture sur la planche qui est le plus facilement disponible. L’idée de ce calendrier de cultures n’est donc pas d’apporter de la rigidité sur mon organisation, mais bien de me faire gagner du temps en m’indiquant les cultures successives que je dois implanter pour avoir toujours de quoi fournir mes clients, et les planches sur lesquelles il est le plus probable que je puisse les implanter.
J’essaie autant que possible d’alterner sur une planche une Verdure (mesclun, salade, blette, épinards) et une Racine (carotte, navet, betterave). Le kale est un chou, il devrait être dans le jardin des choux mais comme je ne cultive pas de choux, je place le kale dans mes jardins de Verdures-Racines.
Voila donc mes 3 jardins de Verdures-Racines. Pour le jardin 5, j’ai réservé 5 planches pour y cultiver uniquement du mesclun. Comme je fonctionne par patchs de différentes variétés, cela me simplifie la gestion de la culture : je peux renouveler un patch trop vieux tout en en gardant un autre encore bon sur la même planche, ou encore ressemer un patch qui n’aurait pas bien levé, sans retarder l’implantation d’une prochaine culture sur cette planche.
Les 3 jardins des familles exigeantes
Voyons maintenant les jardins pairs, qui cette année accueillent les familles exigeantes.
J’ai implanté 4 planches d’oignons blancs en bulbilles, 4 planches d’oignons jaune en plants, et 2 planches d’ail plantées en novembre 2015. Pour avoir des bottes d’oignons frais toute la saison j’aurais dû faire 4 séries de plantations d’oignons blancs. En plantant tout début mars, j’ai eu des oignons blancs qui sont arrivés à maturité mais qui ont beaucoup moins bien séché que les oignons jaunes, et j’ai eu beaucoup de pertes. Je ne prévois pas d’autres cultures pendant l’année sur ce jardin, cependant cela m’est arrivé de cultiver après les oignons des épinards ou de la mâche quand j’avais besoin de place. Quand j’utiliserai les engrais verts, je pourrai les implanter derrière cette culture facilement. Mais je dois expérimenter pour savoir si je peux détruire facilement la culture au printemps suivant, pour pouvoir y implanter des cultures de Verdures-Racines dont certaines sont en semis direct.
Les poireaux n’apparaissent pas ici, parce que cette année j’ai construit 5 planches de culture en plus des jardins existants pour y cultiver les poireaux. A terme j’aurai besoin de 2 jardins d’alliacées pour avoir une production suffisante, vu la forte demande en ail frais, en oignons bottes et en poireaux.
J’utilise un jardin complet pour les courges. Les butternuts sont les petites courges qui donnent le plus de rendement dans mes jardins, j’en cultive donc 6 planches. Puis les Potimarrons, qui sont très demandées aussi, 3 planches. J’ai testé les courges spaghetti cette année, mais je ne suis pas satisfait par leur goût, et mes clients non plus d’ailleurs. Par contre je ferai des Patidoux pour les saisons prochaines, les petites courges les plus sucrées que j’ai goûtées jusqu’à présent.
Sur le dernier jardin de familles exigeantes, j’ai expérimenté 6 planches de fraises qui ont produit en 2016, mais notre climat de Chartreuse est pluvieux et humide, et beaucoup de fraises se sont abîmées. Je pense les cultiver sous tunnel dans l’avenir. J’y cultive également 4 planches des pommes de terre nouvelles, que je remplace par des courgettes début juillet. Je sais que ce n’est pas adéquat de cultiver deux légumes exigeants successifs sur la même planche, mais la réalité du terrain a fait que j’avais besoin de cultiver ces légumes et que je n’avais pas d’autre place. Et de fait, les deux cultures ont très bien marché, et les plants de courgettes étaient très jolis sans avoir reçu d’amendements supplémentaires après les pommes de terre. Je ne prendrai pas le risque d’intégrer ces pratiques dans un fonctionnement à long terme, pour ne pas épuiser le sol et pour ne pas compliquer l’organisation des rotations. Il est clair pour moi que j’ai besoin de plus de jardins à terme, pour être plus confortable dans la production. J’aurai besoin d’au moins 5 jardins pour les familles exigeantes : 2 jardins pour les alliacées, 1 jardin pour les courges, 1 jardin pour les pommes de terre nouvelles, et 1 jardin pour les choux et les courgettes. Et donc, pour les rotations, 5 jardins également pour les Verdures-Racines.
Mes 5 tunnels froids
J’ai 6 planches de culture par tunnel. Dans le tunnel 1, j’ai implanté 4 planches d’aubergines et 2 planches de poivrons. J’ai produit trop d’aubergines par rapport à mes débouchés, je n’en ferai que 2 ou 3 planches pour les prochaines saisons. Deux planches de poivrons, cela me permet de ne récolter qu’une seule planche sur la première moitié de la saison, et de laisser mûrir la seconde pour avoir des poivrons rouges en deuxième partie de saison. Je fais attention à mettre un tuteurage solide sur cette seconde planche car il y aura beaucoup de poids sur les plants, du fait que je ne récolte pas les poivrons pendant longtemps.
Dans le tunnel 2, je cultive cette année les haricots et des légumes de printemps et d’automne. Je faisais des haricots nains les deux premières années, mais la récolte était vraiment pénible. Les haricots à rame sont bien plus productifs, et ils sont plus agréables et plus rapides à récolter car leur calibre est bien plus important et qu’ils sont en hauteur. J’ai prévu 3 séries de 2 planches pour 2016, mais le débouché est tellement bon que je pense faire des séries de 3 ou 4 planches pour les prochaines années, en prévoyant de la main-d’oeuvre pour la récolte (8kg/heure, soit 10h de récolte pour 80 kg).
Dans le tunnel 3 je cultive les courgettes et des légumes de printemps et d’automne. Je prévois pour les prochaines années 3 séries de courgettes pour la saison : une première série au printemps sous tunnel pour la précocité, une deuxième série pour l’été en plein champ, et une troisième série sous tunnel à l’automne. Cette année 2016 je n’ai pas très bien géré les courgettes, car j’ai fait les deux premières séries sous tunnel et la troisième en plein champ, parce que je n’avais pas de place en plein champ avant d’avoir récolté les pommes de terre nouvelles du jardin 6. La troisième série pour l’automne en plein champ s’est bien implantée mais a subi le froid tôt en saison, et n’a pas bien produit. Les courgettes sous tunnels se sont très bien comportées.
Par manque de place également, j’ai transplanté mes concombres seulement fin Mai, car j’avais une culture de mesclun sur cette planche tout le mois de Mai.
Pour vraiment optimiser le début et la fin de saison avec une production conséquente de primeurs comme les épinards, les blettes, les navets, les radis, les carottes, les laitues, le mesclun, ou encore les poids croquants, j’aurai besoin d’un tunnel en plus. Cela me semble être une des clés pour augmenter le chiffre d’affaires annuel sur ma petite surface : se rapprocher le plus possible en Mai, Juin et Novembre, des chiffres d’affaires des mois d’Aout, de Septembre et d’Octobre.
J’ai cultivé 6 planches de tomates rondes sous le tunnel 4, du fait que mes rendements en tomate sont assez faibles (3 à 4 kg/plant). 3 ou 4 planches pourraient suffire si j’avais de meilleurs rendements.
Enfin dans le cinquième tunnel, je cultive deux planches de tomates Cocktail, 3 planches de tomates Cerise et 1 planche de tomates anciennes. Je pense que pour les saisons prochaines je cultiverai plutôt deux planches de tomates cerise qui sont longues à récolter, et davantage de cocktail qui pourraient avantageusement remplacer nos tomates rondes car elles sont bien meilleures, plus résistantes aux maladies fongiques et nous donnent des rendements de 4kg/plant.
Conclusion
Pour conclure, le système de rotation que j’ai adopté en plein champ me paraît satisfaisant, en revanche la rotation dans les tunnels est bien plus problématique. Aujourd’hui j’ai 3 tunnels de solanacées sur 5 tunnels au total. Je pourrais passer à deux tunnels de solanacées en réduisant le nombre de planches d’aubergines et de tomates, mais cela ne serait pas suffisant pour assurer une rotation de 5 ans, préconisée par les techniciens en maraîchage biologique pour éviter l’apparition des maladies de racines et des ravageurs comme les nématodes. Pour l’installation de mes prochains jardins, je prévois de faire des jardins de 7 planches, qui pourraient être couverts par des tunnels de 9,30m. Ainsi je pourrai placer le tunnel sur le jardin 1 pendant les 7 premières années, puis déplacer le tunnel sur le jardin 2 les 7 années suivantes, etc. Cela améliorerait je pense considérablement le système de rotation global. Il faudrait dans ce cas débâcher les tunnels tous les 7 ans et les déplacer. Pour déplacer un tunnel, cela demande quarante personnes pendant une dizaine de minutes, qui soulèvent le tunnel et le portent quelques mètres plus loin. Une vidéo sur Youtube montre un tel déplacement de serre tunnel, c’est impressionnant et joli à voir!