Strategie de l'entreprise

L’agriculture offre une fabuleuse diversité de métiers qui demandent chacun des habiletés et des sensibilités différentes, et qui sont sources de réel épanouissement personnel pour des millions de femmes et d’hommes à travers le monde. Je considère avoir le privilège de faire partie de ceux-là. Le maraîchage est pour moi source d’épanouissement physique autant que mental, et le soin que j’apporte à mes jardins au quotidien me procure beaucoup de plaisir. Cela m’ancre dans le concret, dans ce qui se passe ici et maintenant, dans un environnement naturel, vivant, et simple.

 

Au delà de cette considération "spirituelle" du métier, mes jardins sont aussi mon entreprise. Si je veux me tirer un salaire correct et profiter d’une bonne qualité de vie, je dois construire une stratégie économique solide, d’autant plus que l’agriculture ne fait pas partie des secteurs d’activités les plus facilement rentables aujourd’hui.

 

Le maraîchage étant un atelier agricole d’une grande complexité à cause de la grande diversité des cultures, cela me permet une réflexion stratégique que je n’avais pas soupçonnée avant de lire le livre de Jean-Martin Fortier et de m’installer moi-même concrètement. Et comme j’avais plus d’expérience et d’intérêt en création d’entreprise qu’en maraîchage lorsque je me suis installé, c’est un des critères qui m’a fait choisir le maraîchage parmi d’autres ateliers agricoles. Je n’ai jamais regretté ce choix, et le maraîchage est l’activité la plus complexe et la plus stimulante intellectuellement que j’ai été amené à développer jusqu’à aujourd’hui. Loin devant mon activité de conseil en efficacité énergétique pour les industriels que j’exerçais auparavant en tant qu’ingénieur, et devant mon activité d’enseignement et de gestion de conflits que j’exerce encore aujourd’hui en parallèle.

Je dois prioriser mes investissements, sélectionner mes outils et mon matériel, aménager et entretenir une surface agricole, calculer mes volumes de production, commercialiser mes produits, assurer la viabilité économique de l’entreprise, gérer mon temps, décider des tâches que je néglige pour préserver mon temps libre, et me préserver moi-même physiquement car le maraîchage est un métier physiquement intense. Tout cela en plus de produire une trentaine de légumes différents, qui doivent être beaux, savoureux et bien présentés si je veux les commercialiser correctement. Et tout cela dans un milieu vivant et naturel, donc imprévisible et sensible à de multiples paramètres extérieurs, contrairement à un tableau Excel ou à une réunion de travail bien préparée. C'est passionnant! 🙂

 

Concrètement, ma stratégie pour faire de mes jardins une entreprise rentable et qui me laisse suffisamment de temps libre, repose sur quelques principes simples, largement inspirés de ceux proposés par Jean-Martin Fortier.

  • Une petite surface de production bien organisée : jardins et planches de culture identiques et proches les uns des autres, abri de jardin et pépinière à proximité
  • Une petite surface de production bien équipée : je peux me permettre vu qu’elle est petite d’équiper tous mes jardins et tunnels de systèmes d’irrigation fixes et programmables, et de construire des planches permanentes mulchées de compost qui me facilitent grandement le travail
  • Des petits outils ergonomiques et bien adaptés : le petit matériel que j’utilise permet de travailler très rapidement et dans de bonnes conditions, avec peu d’entretien et presque jamais de casse ou de panne.
  • Des rotations rapides des cultures sur une même planche pour optimiser la production par m2 cultivé : le fait de pouvoir préparer un lit de semence ou de transplantation très rapidement et dans n’importe quelles conditions climatiques, et le fait d’utiliser intensément la pépinière pour accélérer cette rotation des cultures
  • La vente directe pour valoriser au mieux la production, regroupée en fin de semaine et mutualisée entre les différents agriculteurs de la ferme pour gagner du temps.
  • Les charges réduites grâce au petit outillage, à la (relative!) faible main-d'oeuvre nécessaire, à l’absence d’infrastructure et de matériel de stockage importants pour les légumes d’hiver.

Au delà de ces principes, j’apprends au fur et à mesure à gagner du temps sur mes différentes tâches et surtout à prioriser mes actions, car si je voulais être perfectionniste je pourrais facilement trouver de quoi travailler 80 heures par semaine au jardin. Je vais par exemple décider de ne pas faire un soin à une culture un peu vieille, parce que le temps que j’y passerais serait trop important par rapport au gain de production potentiel, et qu’il m’est donc plus rentable de faire d’autres tâches dans le temps que je me suis donné pour soigner les jardins.

Pour ma prochaine installation, je m’installerai avec un associé, pour rendre le travail plus agréable mais aussi pour alléger le rythme pendant les heures de travail, et pour pouvoir prendre de vraies grandes vacances. Il faudra augmenter légèrement la surface, et peut-être créer des ateliers complémentaires comme des poules pondeuses ou un verger diversifié pour réaliser un chiffre d’affaires suffisant pour deux, mais cela me semble tout à fait possible.