L'itineraire du mesclun

L'itinéraire du mesclun est l'un des plus techniques de mes itinéraires de culture.

 

Composition du mesclun

Elle varie en fonction de la saison, car les verdures asiatiques et la roquette ne poussent pas bien en été, alors que les fleurs comestibles ne sont disponibles qu'entre Juin et Octobre. Je choisi mes variétés en fonction de différents critères :

Un mesclun d'été avec beaucoup de fleurs comestibles
Un mesclun d'été avec beaucoup de fleurs comestibles
  • Le goût : la roquette et les moutardes asiatiques apportent des goûts légèrement piquants et relèvent le mélange, la laitue romaine apporte du croquant, les aromatiques parfument délicatement le mesclun. J'exclue toutes verdures apportant un goût amer car la plupart des clients n'apprécient pas, et moi non plus : Chêne verte a couper, Batavia, Chicorées.
  • L’esthétisme : j'aime mettre plus de verdures rouges que de vertes dans le mélange, car cela attire davantage l'oeuil. Pour cela je privilégie la chêne rouge Sadawi, la laitue Cocarde, la Mizuna rouge et la moutarde Osaka Segal. Évidemment, les fleurs comestibles sont le must en terme de visuel, en plus d'être très parfumées.
  • La rentabilité : je m'assure d'avoir toujours dans le mélange quelques verdures lourdes qui donnent du poids au mesclun, comme la laitue romaine Palosta, le Pourpier d'été ou le Chou de Chine Granaat. Ces feuilles plus lourdes ont le mérite d'être plus croquantes et donnent du corps qu mesclun. Elles sont donc intéressantes pour mes clients, et intéressantes pour moi car elles optimisent le rendement du mesclun.

 

Concrètement j'utilise deux compositions de base en fonction de la saison :

  • Mesclun de printemps et d'automne : Sadawi, Palosta, Cocarde, Roquette, Mizuna Verte, Mizuna Rouge, Chou de Chine Tatsoi, Chou de Chine Granaat, feuilles d'épinards, cerfeuil ou aneth
  • Mesclun d'été : Sadawi, Palosta, Cocarde, Pourpier d'été, fleurs comestibles (Capucine, Souci, Œillet d'Inde, Mauve, Chrysanthème comestible, Pensée sauvage, Bleuet, Bourrache). Je ne mets plus d'aromatiques en été car je les effeuille et cela prend du temps, de la même manière que pour certaines fleurs je ne mets que les pétales. C'est donc soit l'un soit l'autre pour ne pas passer y trop de temps.

Preparation du lit de semences

Je passe le microculteur sur la planche en un aller-retour. Cela crée une surface très aérée et très homogène sur toute la planche. Je passe ensuite si besoin un râteau à feuilles pour affiner encore le lit de semences en enlevant les plus gros morceaux de bois (provenant du compost) en surface.

semoir 6 rangs mesclun row
Semis du mesclun avec le semoir 6 Row
Une planche de mesclun 3 semaines après le semis
Une planche de mesclun 3 semaines après le semis

 

Semis direct

Je sème ensuite la planche à l'aide du semoir 6 row, en deux allers retours. Je sème plusieurs “patch” de variétés différentes sur la même planche, mais je ne sème jamais différentes variétés sur le même patch. Cela me permet de mieux contrôler chaque variété, de ne pas en récolter une si elle est amère ou abîmée, et les variétés qui poussent moins vite ne sont ainsi pas étouffées par celles qui poussent plus vite.

Cette pratique est la raison pour laquelle le semis du mesclun me prend une heure de temps, car il faut à la fin de chaque patch enlever les graines des trémies et les remplacer par des nouvelles. Comme le 6 row est peu ergonomique de ce point de vue, c'est toujours un moment délicat où je dois faire attention à ne pas renverser les graines par terre, qui représentent souvent plusieurs dizaines d'euros.

Je place une petite pancarte plastique avec la variété et la date marquées au feutre au début de chaque patch pour un meilleur suivi.

Ensuite, j'arrose abondamment au tuyau d'arrosage pour bien ancrer les graines dans le sol et je m'assure que l'irrigation est bien programmée et qu'elle sera suffisante pour garantir une levée optimale. Enfin, si le temps est humide, je répands des granulés anti-limaces sur la planche pour préserver les jeunes pousses de ces ravageurs.

Suivi de la culture

Je fais un tour du jardin tous les matins, ce qui me permet de m'assurer que mon semis de mesclun lève bien, que les campagnols et les limaces ne font pas trop de dégâts, et que la surface de la planche est bien maintenue humide grâce à l'irrigation. En début et fin de saison, je gère aussi le voile thermique en fonction du climat.

semis direct mesclun
Je surveille la levée de mon semis
Le mesclun ne se laisse plus trop envahir dès qu'il est assez dense
Le mesclun ne se laisse plus trop envahir dès qu'il est assez dense

Desherbage

Je souhaiterais dans l'avenir effectuer un faux-semis avant de semer le mesclun, mais jusqu’à présent je l'ai rarement fait. Comme les planches de cultures sont relativement peu envahies par les adventices, cela ne me pose en général pas trop de problèmes. Je passe au bout de 2 ou 3 semaines sur la planche et je désherbe à la main, ce qui me prend une trentaine de minutes en moyenne. Par la suite le mesclun est si dense qu'il ne laisse plus pousser les adventices.

Recolte

Je commence à récolter au plus tôt un mois après le semis, et j'essaie de renouveler ma planche au bout de deux récoltes, car les jeunes pousses sont meilleures sur les premières récoltes, et aussi parce que les récoltes suivantes sont souvent moins belles (feuilles abîmées, jaunies, etc.) et demandent beaucoup plus de travail de tri ensuite.

J'utilise la récolteuse à mesclun qui fonctionne avec la visseuse à batterie. Je récolte 15 kg par semaine, ce qui me prend environ une heure en comptant la manipulation des caisses et l'acheminement vers la salle de stockage et de conditionnement.

Avant je récoltais au couteau ou à la serpette, et la récolte était très longue et fastidieuse. Il fallait être à genoux pendant des heures et le rythme de récolte était assez décourageant. Sans compter les coupures à répétition...

La récolteuse à mesclun est donc devenue pour moi indispensable pour une production sérieuse de mesclun.

Prête à récolter!
Prête à récolter!
récolte mesclun couteau serpette
La récolte du mesclun au couteau est longue et fastidieuse!

Lavage et tri

Je dispose d'un grand bac en Inox de 80 x 80 cm, profond de 70 cm, que je rempli d'eau et d'1L de vinaigre. J'y verse la moitié d'une caisse de récolte à la fois, et donc une seule variété de verdure. C'est un détail important parce qu'il est beaucoup plus facile pour moi de trier une seule variété de verdure à la fois, car tout ce qui est d'une couleur ou d'une forme différente de cette verdure est très vite repérable. Je réparti les feuilles de verdures sur toute la surface de l'eau, et je les brasse doucement pour repérer et enlever toutes les feuilles jaunies et les adventices. Généralement, les petits escargots et les petites limaces qui se trouvent dans les feuilles tombent au fond du bac et je n'ai pas à m'en préoccuper.

Cette étape demande un temps très variable en fonction de la qualité du mesclun. S'il n'y a presque pas de feuilles jaunies par un excès d'humidité ou par le fait d'une culture trop vieille, alors c'est très rapide et agréable. En revanche, s'il y a beaucoup de feuilles à enlever, c'est une étape qui peut durer jusqu’à une heure par caisse de récolte, soit 1,5 à 3 kg de mesclun seulement!

C'est pourquoi le défi essentiel pour moi dans la culture du mesclun est de renouveler les cultures suffisamment souvent pour avoir le moins de tri à faire, et de bien gérer l'irrigation pour ne pas arroser trop et risquer de faire pourrir les feuilles les plus vieilles.

J'ai remarqué que lorsque le climat est sec, le mesclun est beaucoup plus joli et demande moins de tri que lorsqu'il pleut fréquemment et qu'il y a un excès d'eau dans les verdures. Pour notre climat de Chartreuse, il faudrait donc cultiver le mesclun davantage dans les tunnels au printemps et en automne pour mieux contrôler le climat. Malheureusement, je n'ai pas suffisamment d'espace pour cela, et les verdures rouges ont besoin d'être cultivées dehors pour avoir leur coloration rouge intense.

En ce qui concerne les adventices, elles sont quasiment insignifiantes pour moi par rapport aux feuilles jaunies.

Mon essoreuse à mesclun
Mon essoreuse à mesclun

Egouttage

Une fois triées, je retire les verdures du bac de tri et de lavage et je les place dans le grand bac inox de 30L de mon essoreuse à salade professionnelle. Le modèle neuf coûte 5000€, mais en cherchant sur le Bon Coin j'ai trouvé plusieurs occasions. Je l'ai finalement achetée pour 200€.

Je place donc le bac en inox dans l'essoreuse, je ferme le couvercle et je lance la machine (qui fonctionne en 380V) pour 1 min d'essorage. Les verdures en ressortent parfaitement essorées sans être abîmées.

Melange

L'essorage terminé, je retire le bac inox de l'essoreuse et je vide son contenu dans le “Pac Man”.

Le Pac Man, c'est un mélangeur à mesclun inventé par Eliot Coleman, dont je me suis construit une copie sur la base de son modèle présenté dans son livre "Des légumes en Hiver".

C'est une sorte de tonneau de 1,20 m de long par 90 cm de diamètre, conçu en 2 parties reliées ensemble d'un côté par des charnières, et de l'autre par 2 loquets. Ce tonneau est monté sur deux poteaux qui ont en leur sommet un roulement horizontal fixe au centre du tonneau. Ainsi, le tonneau une fois fermé peut tourner sur lui-même sans avoir un axe horizontal qui passe en son centre. L'un de mes roulements est le pédalier d'un vieux vélo, l'autre est l'axe de la fourche du même vélo. Après quelques découpes à la disqueuse, ils s'adaptent parfaitement sur les poteaux et sur le tonneau, même si le résultat visuel est bien moins chic que celui d'Eliot Coleman, j'en conviens volontiers!

Je peux faire tourner le Pac-Man soit avec la pédale que j'ai laissée sur l'un des côtés du pédalier, soit en le faisant simplement tourner avec les mains. Je maintiens ouvert le Pac-Man pendant toute la phase d'essorage et j'y verse au fur et à mesure les différentes verdures essorées. Lorsque j'ai terminé, je ferme le Pac-Man a l'aide des loquets, et je le fais tourner doucement 5 tours dans un sens, 5 tours dans l'autre.

Mes 15 kg de mesclun hebdomadaires sont ainsi parfaitement mélangés sans effort et en un rien de temps!

Avant de construire le Pac-Man, je faisais le mélange en prenant un peu de feuilles dans chaque caisse essorée, que je mélangeais dans une nouvelle caisse. Cela fonctionnait pour quelques kilos, mais je suis bien content de ne plus avoir à le faire pour 15 kg par semaine.

Ma version artisanale du "Pac Man" d'Eliot Coleman
Ma version artisanale du "Pac Man" d'Eliot Coleman
Le mesclun conditionné en sachets de 150g
Le mesclun conditionné en sachets de 150g

Conditionnement

Directement du Pac-Man dont je bloque la rotation grâce à deux loquets, je rempli des sachets fraîcheur micro perforés zippés avec 150g de mesclun. Ces sachets sont très pratiques car ils conservent le mesclun au frigo pendant une semaine en le laissant respirer par les micro-perforations. Je les achète 10 centimes d'euros pièce.

L'essorage est aussi très important, la conservation s'est allongée d'au moins deux jours grâce à l'essoreuse professionnelle, qui essore bien mieux que l'essoreuse manuelle domestique que j'utilisais auparavant. Même les fleurs se conservent très bien.

Je vends ces sachets 2,2€, ce qui équivaut à 14,5€/kg de mesclun. J'en vends une centaine par semaine, et je pense que le fait qu'il soit en sachet aide beaucoup. D'une part cela permet d'afficher un prix de 2,2€ le sachet qui fait moins peur que 14,5€/kg, et d'autre part c'est beaucoup plus pratique pour les clients qui n'ont qu'à prendre le sachet, le mettre au réfrigérateur en rentrant chez eux, et se servir directement du sachet quand ils veulent de la salade.

Pour ceux qui le demandent - et ils sont très peu nombreux - je vends aussi le mesclun en vrac, sans sachet. Plus fréquemment, ceux qui souhaitent limiter la consommation de plastique me ramènent les sachets, que je lave et que je réutilise.

Mes retours sur cette culture

C'est une culture que je trouve très technique et qui me plaît beaucoup car c'est une vraie composition, presque une préparation gastronomique!

Par contre cela m'a pris beaucoup de temps à la maîtriser, et aujourd'hui encore je manque d'expérience pour en faire une culture vraiment rentable par rapport au temps que j'y passe. J'ai surtout besoin de trouver les solutions pour avoir moins de feuilles jaunies à trier, car cette étape est encore pour moi très longue et désagréable.

Mais c'est une culture qui me vaut tellement de compliments de la part de mes clients que j'aurais aujourd'hui du mal à m'en passer.

Je pense en revanche qu’en tant que maraîcher totalement inexpérimenté comme je l'étais il y a 3 ans, c'est une culture que j’aurais dû éviter les deux premières années pour pouvoir me concentrer plus sereinement sur les autres cultures maraîchères. Le mesclun est un produit très chic, mais il est loin d'être indispensable comme le sont les tomates, les laitues, les carottes, les haricots verts, les courgettes ou les pommes de terre nouvelles.

De plus son chiffre d'affaires reste limité tant que je n’en produis pas en quantité semi-industrielle comme Jean-Martin Fortier par exemple. Le chiffre d'affaires du mesclun était pour moi de 3500€ pour la saison 2016 pour un chiffre d'affaires total de 35600€.  Il faut également compter, en dehors de la main d'oeuvre, les charges opérationnelles : 400€ de semences, 150€ de sachets, et 10€ de vinaigre blanc pour 3500€ de chiffre d'affaires.